lundi 6 septembre 2010

“DSM-5″ : le livre qui rend fou

Un livre peut rendre fou. A moins qu’il ne soit pas en vente libre. Disons : restreinte aux professionnels, ce qui n’empêche pas quiconque de se le procurer. Mais il est d’un abord si rébarbatif que bien peu s’y risqueraient. Tant mieux car il causerait bien des dégâts. Il porte le doux titre de DSM-5 (à paraître en français aux éditions Masson) et il est sous-titré de manière tout aussi poétique Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux.
Quand on y pénètre, on ne sent déjà pas très bien, sinon qu’irait-on y faire ? Quand on en ressort, on en est malade tant cette bible des psychiatres américains, qui tend à s’imposer et à servir de critère un peu partout dans le monde, élargit considérablement le spectre de la maladie mentale. Jugez-en plutôt par l’édition à venir (en mai 2013) telle que l’auteur, The American Pyschiatric Association, l’annonce déjà sur son site. C’est un document de travail, un work in progress nécessairement provisoire et incomplet, mais il confirme une tendance à l’oeuvre depuis des années qu’il s’agisse, outre les cas les plus graves (schizophrénie, autisme…) des troubles liés à l’enfance (des adolescents qui se mettent en colère au moins trois fois par semaine s’y retrouvent), de comportements consécutifs à des addictions au jeu, à l’internet (à ce compte-là, que de malades sur la “République des livres” !), aux drogues dures et douces, à l’alcool, au café, au tabac et autres substances (avec en prime un intéressant débat sémantique sur le passage de le dependance à l’addiction) ; les troubles sexuels, qu’il s’agisse du frotteurisme, de l’éjaculation précoce… ; à la boulimie et sa cousine l’anorexie etc

Passionnant et épuisant. D’autant qu’à ce stade, le site est un forum de discussion, avec différents niveaux d’évaluation, pour une nouvelle version en développement. Mais comme le relève justement Anna Lietti dans le dossier très complet qu’elle a consacré à la question dans Le Temps de Genève, on observe des chassés-croisés d’une édition à l’autre qui doivent davantage à l’air du temps et au lobbying qu’à des considérations scientifiques. Ainsi les homosexuels (mais oui, ils y étaient !) ont réussi à en sortir, les asexuels devraient également y parvenir bientôt, au moment où les hypersexuels s’y installent. On n’est plus dans la nomenclature mais dans une dérive du diagnostic, avec l’établissement de critères qui standardisent les symptômes et nivellent la singularité du sujet. C’est notamment le cas pour le dépistage de troubles psychotiques chez des enfants qui “pourraient” les développer à l’âge adulte. 60 pathologies en 1952, près de 300 quarante ans plus tard, et davantage encore dans la prochaine édition.
Qui a intérêt à médicaliser ainsi les émotions sinon les laboratoires pharmaceutiques dont on sait qu’ils peuvent aussi inventer des nouvelles maladies pour coller à de nouveaux médicaments dans une démarche qui relève davantage du marketing que de la médecine ? Deux livres s’en sont faits l’écho Aimez-vous le DSM ? de Stuart Kirk et Herb Kutchins (Les empêcheurs de penser en rond, 1998) et plus récemment Comment la psychiatrie et l’industrie pharmaceutique ont médicalisé nos émotions de Christopher Lane (Flammarion, 2009). Mais il manque toujours une section au DSM-5 : celle où l’on expliquerait la pathologie de ceux qui dévorent compulsivement un livre tel que le DSM. Car si avant, les néophytes se plongeaient dans le Vidal pour s’y trouver, désormais c’est plutôt de ce côté-là que l’époque les pousse à se perdre et à augmenter leur angoisse de vivre. On imagine les dégâts sur un dépressif. A ceux-là, il faut d’urgence prescrire la lecture des Oeuvres complètes de Samuel Beckett, ne fût-ce que pour y retrouver la page où il est écrit :”On naît tous fous, quelques uns le demeurent”.
http://passouline.blog.lemonde.fr/2010/02/25/dsm-5-le-livre-qui-rend-fou/#xtor=RSS-32280322

Je me pencherai sur ce livre, mais je ne le conseille à aucun de mes lecteur! Chacun pourra j'en suis sûre se retrouver dedans et le corollaire obligé sera la prise d'un petit médicament pour contrer ce vilain travers, n'est-ce pas mesdames les hypersexuels et les messieurs toujours en pétard!




1 commentaire:

  1. Et le drogué du chocolat et de la lecture s'y trouve aussi?! Pourtant, ce n'est pas une maladie, mais un plaisir de la vie, un de ceux qui nous différence avec les animaux.

    Bonne lecture / soirée

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