Je n'ai pas été très bavarde ces temps-ci, et ce n'est surtout pas hier que j'aurais pu écrire: le dernier train partant de la gare du Nord était à minuit, il est survenu une panne et une navette nous a transportés à bon port à 4 heures! Ca mérite une plainte. Mais voilà la raison pour laquelle je me trouvais à Paris: pour l'assemblée générale de l'AAAVAM ( association des victimes des accidents des médicaments) où j'ai tenu ce discours:
Bonjour,
Je me trouve aujourd’hui devant vous pour vous parler de la situation de la santé en France vue par un généraliste. . J’ai un cabinet individuel dans l’Oise depuis onze ans et suis particulièrement consciente du premier point du serment d’Hippocrate « d’abord ne pas nuire ».
Je rencontre en effet régulièrement des patients souffrant d’effets secondaires dus à leur traitement dans ma clientèle, et cela concerne non seulement les benzodiazépines et les antidépresseurs, mais aussi des médicaments aussi « anodins » pourrait-on dire que l’aspirine, l’advil ou l’actifed, ou même la pilule contraceptive.
Je suis toujours un peu atterrée devant un patient inconnu qui se présente en face de moi en me disant « docteur, je viens pour mon renouvellement de somnifère (stilnox) ou de temesta ». Pour lui c’est tout naturel de prendre son petit comprimé quotidiennement, comme de se laver les dents. Il ne se pose plus des questions basiques (si tant est qu’il se les soit posées un jour) du genre « ce traitement est-il vraiment utile ? Devrais-je arrêter de conduire le temps de celui-ci?, quand puis-je l’arrêter et de quelle façon? Cela ne va-t-il pas déclencher des mauvais effets chez moi ? »
Je n’arrête pas d’éduquer les patients à devenir responsables quant à leur santé, et à connaitre bien les traitements qu’ils doivent éventuellement prendre, à choisir le spécialiste qui sera le plus susceptible de les aider sans trop nuire; et je pense que j’y suis arrivée dans ma clientèle.
C’est pour cette raison que je serais favorable à une éducation à la santé dans les lycées, où l’on apprendrait entre autres choses que
- Un médicament n’est pas anodin, ce n’est pas un bonbon et l’on n’a pas par exemple à prendre le Lexomil de la pharmacie familiale pour se le partager avec ses copains ;
- Qu’un médicament peut avoir des effets secondaires bénins ou dangereux selon le produit ou la personne, et que cela n’arrive pas forcément qu’aux autres ;
- Qu’il faut lire les notices avant de prendre tout médicament et prendre conseil auprès d’un médecin ou de la pharmacie en cas de moindre doute
- Qu’il ne faut pas forcément faire confiance au médecin qui assure « ne lisez pas la notice, vous allez vous faire peur pour rien, la proportion d’effets indésirables est minime ». (je rappelle que, nombre d’effets indésirables n’étant pas déclarés à la pharmacovigilance, le nombre d’incidents réels n’est pas connu, au plus suspecté) ;
- Qu’Il faut lire les pictogrammes concernant la conduite automobile et qu’il faut se méfier des rouges en particulier ;
- Qu’il vaut mieux et de loin commencer par une solution non médicamenteuse, surtout en cas de stress, d’autant plus que les mutuelles remboursent de plus en plus les médecines douces ;.
- Que s’ils souffrent d’une maladie particulière il faut qu’ils s’informent afin de l’appréhender pour le mieux et pas qu’ils disent à leur médecin traitant : « docteur, je vous fais toute confiance ». Il faut sortir du schéma « le médecin est celui qui sait, je prends tout ce qu’il me donne sans réfléchir ».
- Qu’ils se servent aussi de l’outil internet pour leurs recherches par rapport à leur pathologie, mais en demandant au médecin de replacer les éléments qu’ils y ont trouvés par ordre d’importance, et de distinguer le vrai du faux (car on y trouve de tout et n’importe quoi surtout dans les forums !)
- Qu’une consultation chez un médecin n’aboutit pas forcément à la rédaction d’une ordonnance (Les Français consomment, par personne, 6 fois plus de médicaments que les néelandais)
Je suis convaincue que l’on peut diviser par deux la facture des médicaments et les effets secondaires imputables à ceux-ci
Par exemple, quand un patient souffre de lombalgie, je lui propose de la kiné ou de l’ostéopathie afin qu’il raccourcisse au maximum la durée de son traitement antalgique et antiinflammatoire, je tente aussi un arrêt de travail le plus court possible car statistiquement c’est quand on s’arrête peu longtemps que l’on guérit le plus vite possible.
L’écoute aussi est très importante : Quand un patient ressort du cabinet avec la sensation d’avoir été compris, il ne ressent pas la frustration de ressortir au bout de cinq minutes avec une ordonnance d’antidépresseurs et de benzodiazépines, la tournant en tous sens et pensant ; « je me sens mal dans mon couple, mon travail etc. . Et tout pourrait se résoudre miraculeusement avec la prise d’un petit médicament ? » Voilà la médicalisation des émotions.
Un point à noter aussi : une consultation de généraliste est à euros, que cela soit pour une angine ou une dépression ; que l’on passe cinq minutes ou cinquante auprès d’un patient, cela sera toujours le même tarif, cela peut pousser certains à l’abattage.
Par ailleurs, dans les campagnes les généralistes se font rares, ils sont complètement surmenés, usés et cela peut influer sur la qualité d’écoute. La moyenne d’âge de mon canton est environ de 56 ans et personne ne semble prêt à s’installer.
Et jusqu’à il y a peu les visiteurs médicaux apportaient parfois la seule formation continue au médecin installé et surchargé de travail (ex : prescrivez du médiator à vos patients docteur, vous ne le regretterez pas. Mais non docteur, ce n’est pas une amphétamine). A présent les labos économisant sur leurs salariés nous sommes beaucoup moins sollicités.
Je pense qu’il faudrait une réforme de la médecine générale en profondeur ; et que les médecins réapprennent à soigner sans forcément prescrire des médicaments. Concernant les psychotropes je ne parle pas forcément des prescriptions de psychiatres car 80% des psychotropes sont prescrit par des généralistes.
Un autre point que je voudrais soulever est l’ignorance dans laquelle sont tenus les médecins : par exemple lorsque le médiator a été interdit, à l’instar de tant d’autres, ou les médecins lisent les médias, auquel cas ils en savent autant que les patients, ou au pire ils sont tenus au courant par les patients eux-mêmes ! C’est dire le peu de cas que l’on fait des médecins.
Tout ceci contribue à la situation dans laquelle on se trouve actuellement, avec des médecins démotivés et des patients désabusés et confus.
Je pense qu’à terme notre système de santé n’est pas viable, sauf si l’on se libère de l’emprise, de l’argent des laboratoires pharmaceutiques. Il faudrait que l’on intègre les médecins parallèles dans la panoplie de soins proposée aux patients, de façon à pouvoir être le plus efficace en nuisant le moins possible
Un type m'a demandé après: " mais en tenant des propos comme ça, vous n'avez pas de problèmes avec le conseil de l'ordre?"
Pas du tout!