mercredi 2 mars 2011

Ces pilules qui font du mal à la Sécu

Détournés de leur utilisation première, de nombreux médicaments sont prescrits de manière abusive. Une pratique qui, en plus d'être parfois dangereuse, coûte cher à l'Assurance-maladie.

"Les firmes ont tendance à encourager les médecins à prescrire en dehors de l'AMM ou des recommandations pour élargir leur marché", Bruno Toussaint, de Prescrire.

Médiator
128 millions d'euros remboursés entre 2004 et 2009 pour cet antidiabétique de Servier.
20 % de gaspillage, lié à des prescriptions comme coupe-faim injustifiées.

Parmi les patients traités avec le Mediator, 20 % au moins, selon l'Inspection générale des affaires sociales, n'auraient jamais dû avaler ces comprimés. Ils n'étaient pas diabétiques, mais voulaient perdre du poids, et le produit leur a été prescrit pour ses propriétés anorexigènes. Or sa vente n'était pas autorisée pour cette indication... "La prescription de médicaments en dehors du périmètre de leur autorisation de mise sur le marché (AMM) tient presque du sport national", déplore Jean-Marc Aubert, consultant chez Jalma et ancien directeur délégué de la Caisse nationale d'assurance-maladie (Cnam).
ACOMPLIA
25 millions d'euros remboursés entre 2007 et 2009 pour ce médicament amaigrissant réservé aux diabétiques fabriqué par Sanofi-Aventis.
Un tiers de gaspillage, du fait de la prescription à des non-diabétiques.

Parfois, cela peut se justifier, pour les patients souffrant de maladies rares ou pour les enfants : les laboratoires demandent rarement une autorisation pour ces publics restreints et considérés comme trop peu rentables. Mais la majorité de ces prescriptions est tout simplement injustifiée. En théorie, elles ne devraient pas être prises en charge par l'Assurance-maladie. En pratique, les médecins "oublient" souvent de noter sur leur ordonnance que le produit, dans ce cas, n'est pas remboursable. Un vrai gaspillage qui vient creuser un peu plus le trou de la Sécu. Rien qu'au titre de ces ordonnances abusives, le seul Mediator a généré plus de 25 millions d'euros de dépenses inutiles entre 2004 et 2009.

Hormones thyroïdiennes ou diurétiques pour maigrir...

CREON
65 millions d'euros remboursés entre 2005 et 2009 pour ce traitement de maladies pancréatiques du laboratoire Abbott.
50 % de gaspillage, lié à des prescriptions pour "améliorer la digestion".

Aucune donnée ne permet d'évaluer l'ampleur de ces dérives, ni le manque à gagner pour l'Assurance-maladie. Mais quelques rares études aident à cerner l'ampleur du phénomène. Prenons les antidépresseurs : "Environ un tiers des prescriptions sont liées à des dépressions courtes ou légères. Or il n'existe aucune preuve scientifique de l'efficacité de ces produits dans ces situations", soupire Jean-Marc Aubert. Ces molécules ont coûté 540 millions d'euros à la Sécu en 2009 - dont 178 millions sans doute en pure perte...

"Les deux domaines les plus concernés par ce détournement d'utilisation sont le blanchiment de la peau, avec les pommades à base de corticoïdes, et la perte de poids", constate André Deseur, de l'ordre des médecins. Amenée à sanctionner les médecins indélicats, cette instance juge régulièrement des dossiers de prescriptions injustifiées de diurétiques ou d'hormones thyroïdiennes - des molécules à l'effet amaigrissant, même s'il est souvent provisoire. Dans le même ordre d'idée, la Haute Autorité de santé (HAS) a enquêté sur le Creon, destiné à soigner les maladies du pancréas. Résultat : ce médicament est administré plus d'une fois sur deux en dehors de l'AMM, pour "faciliter la digestion". Gaspillage : 32 millions d'euros entre 2005 et 2009.

STATINES
1 milliard d'euros remboursé en 2009 pour ces molécules anticholestérol.
Les deux tiers des traitements instaurés l'ont été sans suivre les recommandations (régime préalable...) en 2003. La situation s'améliore, mais des progrès restent possibles.

Des médecins pas assez formés à la pharmacopée

"Les abus peuvent aussi concerner des prescriptions respectant l'AMM mais pas le périmètre de remboursement fixé par les pouvoirs publics", ajoute Gilles Bouvenot, de la HAS. Exemple célèbre : l'Acomplia, la pilule amaigrissante de Sanofi, retirée du marché en 2009. Elle ne devait être remboursée que pour les diabétiques en surpoids. "En réalité, un tiers des patients ne prenaient pas d'antidiabétiques en même temps", raconte Gilles Bouvenot. La plupart ne souffraient donc probablement pas de diabète, ce qui représente pour la Sécu des dépenses indues de 8 millions d'euros entre 2007 et 2009. Et il y a aussi tous les comprimés prescrits sans respecter les "recommandations de bonnes pratiques", comme les antibiotiques en cas d'infection virale. Ou les molécules anticholestérol, dont les statines, remboursées à hauteur de plus de 1 milliard d'euros par an. En 2003, les experts de la Sécu ont démontré que les deux tiers de ces traitements étaient instaurés en dehors de tout risque cardio-vasculaire avéré et sans régime préalable, contrairement aux recommandations. La situation se serait améliorée depuis, même s'il reste, selon la Cnam, "des marges de progrès".

ANTIDÉPRESSEURS
540 millions d'euros remboursés en 2009 pour ces produits réservés aux dépressions graves.
Un tiers de gaspillage, lié à des prescriptions pour des épisodes dépressifs courts ou légers.

Que trouve-t-on à l'origine de ces abus ? La pression des patients et la trop faible formation des médecins à la pharmacopée. Le lobbying des laboratoires, aussi. "Les firmes ont tendance à encourager les médecins à prescrire en dehors de l'AMM ou des recommandations pour élargir leur marché", constate Bruno Toussaint, de Prescrire, qui réclamait de longue date le retrait du Mediator. La revue a piloté pendant quinze ans un observatoire de la visite médicale, dont elle pointait les dérives. Il n'a pas été réédité depuis 2006, mais le sujet reste d'actualité. Pour preuve : en France, des publicités sont régulièrement retirées pour "extension abusive d'indication". Et, aux Etats-Unis, AstraZeneca a été condamné à verser plus de 500 millions d'euros pour avoir promu un traitement contre les troubles bipolaires et la schizophrénie dans de nombreuses autres pathologies (Alzheimer, angoisse, dépression...). Un avertissement pour les labos français

Article un peu long mais édifiant! Le pire est que cette situation se sait depuis des lustres mais on laisse aller. Ce n'est pas pour rien que j'ai hurlé contre les pratiques du labo commercialisant Accomplia dans mon livre! Concernant les crèmes pour blanchir la peau ( corticoïdes), j'ai été laxiste un petit peu, ne refusant pas de les renouveler à des noires de la Plaine Saint Denis ; elles avaient toutes une bonne explication pour me les demander " eczéma chronique docteur".
Et les antidépresseurs! Je  pense qu'ils n'ont pas vraiment leur  place en médecine générale.

 Mais la pression des labos, le beau visuel et on se laisse convaincre. 
Alors on pourrait modifier le titre: "ces pilules qui font du mal aux patients".

3 commentaires:

  1. Je voulais aussi ajouter bien que moins dangereux car encadré par des spécialistes, un avis de commission de la transparence de l'HAS sur l'Aldalix
    "Indications thérapeutiques : insuffisance cardiaque congestive.

    Données de prescriptions : selon les données IMS (cumul mobil annuel mai 2007), il a été
    observé 124 000 prescriptions d’ALDALIX à la posologie moyenne de 1 gélule/j.
    Dans 72 % des cas, le motif de prescription identifié dans la base de données a été une
    « maladies hypertensives » (hors AMM).

    La Commission souligne que selon le panel IMS Dorema (cumul mobil annuel mai
    2007) la part des prescriptions correspondant à des indications thérapeutiques hors
    AMM est élevée (72%).

    Et encore un médicament détourné. Je vous indique aussi que j'ai cherché car je suis dans les 72% et cela a été prescrit par un cardiologue.

    Merci pour votre blog et cordialement

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  2. Franchement? un grand Merci pour toute cette info que vous nous transmettez... si tous les docs étaient comme vous, on ne serait jamais malades...

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  3. Je me demande pourquoi l'assurance de maladie n'a rien constaté? N'y a-t-il pas un contrôle des médicaments prescrits et remboursés par elle?

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