samedi 23 octobre 2010

La thérapie génique au secours des dépressions graves

Je suis le Ténébreux, - le Veuf, - l'Inconsolé (...) Ma seule Etoile est morte, - et mon luth constellé porte le Soleil noir de la Mélancolie", soupire Gérard de Nerval dans son poème El Desdichado ("le déshérité"). En écho, Baudelaire, dans son Spleen, décrit les affres de "l'esprit gémissant en proie aux longs ennuis", où "l'Angoisse, atroce, despotique (...) plante son drapeau noir".

 Les poètes et les peintres, dont les états cafardeux ont maintes fois inspiré la veine créative, jugeraient sans doute que l'étude américano-suédoise publiée dans l'édition du 20 octobre de la revue Science Translational Medecine manque furieusement de romantisme. Ce travail laisse entrevoir - de façon encore très préliminaire - la possibilité d'une thérapie génique des dépressions sévères.

Cette stratégie curative, consistant à remplacer des gènes défectueux, ou à introduire des gènes correcteurs dans certaines cellules, est expérimentée depuis peu chez des malades parkinsoniens. Mais elle est inédite pour la dépression. L'enjeu est énorme, puisque cette pathologie est en passe de devenir la deuxième cause d'invalidité après les maladies cardio-vasculaires, selon l'Organisation mondiale de la santé. Et qu'elle résiste, chez près d'un patient sur trois, à l'arsenal des médicaments antidépresseurs.

L'expérience, conduite par Brian Alexander (Weill Cornell Medical College de New York), a pris comme cobayes six jeunes souris mâles. Elle a d'abord inactivé à l'aide d'un virus, dans une minuscule région de leur cerveau appelée noyau accumbens, le gène p11, qui gouverne la synthèse de la protéine du même nom. Celle-ci est connue pour réguler le signal transmis aux cellules cérébrales par la sérotonine, un neuromédiateur impliqué dans l'humeur, le sommeil et la mémoire.

Les chercheurs ont alors observé les mouvements des rongeurs, lorsqu'ils les suspendaient par la queue, ou qu'ils les plongeaient dans une bassine d'eau dont ils ne pouvaient s'échapper. Ils ont constaté que les animaux renonçaient plus vite à se débattre ou à nager, une résignation classiquement observée dans les modèles animaux de dépression. Signe corroboré par leur moindre appétence pour une boisson sucrée, rappelant l'anhédonie (insensibilité au plaisir) des personnes dépressives.

L'équipe a ensuite procédé à l'expérience inverse, en réintroduisant dans leur cerveau, par le truchement d'un autre virus, le bon gène, afin de restaurer l'expression de la protéine. Les animaux ont retrouvé une agitation normale, en même temps que leur goût pour le sucre.

Parallèlement, les chercheurs ont passé au scalpel les tissus cérébraux de 34 cadavres d'humains, dont la moitié avait souffert de dépression et les autres non. Et ils ont découvert, dans le noyau accumbens des premiers, un niveau plus faible de la protéine p11.

Ils en concluent que, chez l'homme comme chez la souris, le noyau accumbens et le gène p11 jouent un rôle-clé dans la dépression. Et qu'une thérapie génique pourrait être envisagée pour "des patients présentant une dépression majeure, et réfractaires aux autres traitements antidépresseurs".

"Il s'agit d'un travail sérieux et novateur, qui apporte des éléments importants sur la physiopathologie de la dépression", commente Stéphane Jamain, de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm, équipe de psychiatrie génétique, hôpital Henri-Mondor de Créteil). Mais, ajoute-t-il, "cela ne signifie pas qu'il va révolutionner la psychiatrie".

"Le recours à la thérapie génique pour traiter des troubles psychiatriques complexes reste un domaine inexploré", estiment eux aussi, dans une mise en perspective publiée dans la même revue, trois chercheurs de la firme pharmaceutique américaine Johnson & Johnson. A leurs yeux, "même si nous nous engageons sur une nouvelle voie prometteuse, un grand nombre de questions cliniques et réglementaires doivent être résolues avant que de telles thérapies puissent être mises en oeuvre ".

Entre la réaction d'un rongeur pendu par la queue et le comportement humain, il existe un fossé vertigineux. Même si les tests de la pendaison et de la nage forcée font partie de la batterie des protocoles standards utilisés avant l'éventuelle mise sur le marché d'un antidépresseur.

Dans le cas précis, l'extrapolation du modèle animal à l'homme semble d'autant plus hasardeuse que la thérapie génique a été effectuée sur des souris âgées de onze semaines seulement. Ce qui, transposé à l'homme, reviendrait à un traitement précoce, de post-adolescents, potentiellement avant l'apparition des premiers symptômes.

En outre, l'observation, post mortem, d'une carence de la protéine p11 dans le cerveau des sujets dépressifs pose l'éternelle question de la poule et de l'oeuf. Comme il en va pour d'autres troubles psychiatriques, comme la schizophrénie ou l'autisme, il est impossible de déterminer si les anomalies cérébrales repérées sont la cause ou, au contraire, la conséquence de ces affections.

L'étude se focalise de surcroît sur un gène particulier, alors que la dépression, pour autant qu'elle puisse s'expliquer par des causes génétiques, implique vraisemblablement de nombreux gènes.

Il reste à démontrer que celui dont les chercheurs ont mis en évidence l'action joue un rôle plus déterminant que les autres. Cela, pour l'ensemble des manifestations dépressives, et non pas seulement pour un type spécifique de dépression.

Enfin, et peut-être surtout, ce travail propose une approche strictement biologique d'un trouble du comportement, dont les praticiens considèrent qu'il est la résultante d'un faisceau complexe où se mêlent des facteurs personnels, sociaux et environnementaux, associant traumatismes, stress et conditions de vie.

En dépit de toutes ces réserves, les résultats rapportés ont le mérite d'établir l'importance d'une zone très localisée du cerveau dans les états dépressifs. De l'établir, ou de la confirmer, puisque des essais de stimulation profonde du noyau accumbens, par des électrodes, ont déjà été menés pour des cas de dépression sévère résistant aux médicaments.

En outre, note Stéphane Jamain, qu'ils débouchent ou non sur une future thérapie génique, ils offrent un espoir aux dépressifs. Ils suggèrent, en effet, que cette pathologie, même dans l'hypothèse où elle serait inscrite dans les gènes, "peut être corrigée a posteriori, en compensant un déficit de neurotransmetteur".

L'étude est cosignée par treize biologistes, dont le patron, Michael Kaplit, professeur associé au Weill Cornell Medical College, est aussi cofondateur et consultant de la société américaine de biotechnologies Neurologix Inc. Cette société, cotée en Bourse, a acquis la licence d'un brevet déposé par l'université Cornell, sur la thérapie génique avec le gène p11. Les intérêts financiers en jeu expliquent, peut-être, s'agissant des perspectives thérapeutiques, le raccourci un peu rapide fait entre des souris et des hommes.

Pierre Le Hir-- Le Monde le 23/10/2010

On parie que l'on arrivera dans une impasse?  Je ne veux pas être oiseau de mauvais augure mais faire du tout biologique ne me semble pas être très judicieux: combien de gens s'améliorent dans un nouvel environnement et/ou avec une écoute empathique et attentive?  Freud l'avait compris et, au lieu d'avancer dans ses recherches, on est passé à complètement autre chose qui n'est pas exempt d'effets secondaires.
Et d'abord maltraiter les rats de cette façon n'est pas très digne de l'être humain.

1 commentaire:

  1. Le dernier paragraphe -in cauda venenum !- laisse entendre que ce ne sera pas forcément une impasse, bourse et finance aidant. Et que certains biologistes peuvent rêver d'un meilleur des mondes possible, peuplé d'individus reformatés aux gênes corrigés voire améliorés.

    Un monde meilleur, mais sans futurs Nerval ou Baudelaire. On ne peut pas tout avoir.

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